La période d’allaitement : une fenêtre sensible de programmation du futur adulte

La période d’allaitement : une fenêtre sensible de programmation du futur adulte

La période d’allaitement : une fenêtre sensible de programmation du futur adulte

Les "1000 premiers jours", élargi récemment à l’adolescence, constituent une fenêtre unique de sensibilité au cours de laquelle l’environnement a un effet rémanent qui ‘programme’ le risque du futur adulte de souffrir de maladies chroniques (hypertension artérielle, obésité, diabète, insuffisance coronarienne…) pendant le reste de sa vie. Quels effets une carence ou un excès d’un nutriment peuvent-ils avoir sur la composition du lait maternel et sur la santé du nouveau-né à court et à long terme ? Détecter précocement les effets d’une empreinte nutritionnelle chez le nouveau-né et l’enfant permettrait de pouvoir agir, en particulier par l’alimentation, sur sa santé future.

Les premières périodes de la vie, depuis l’environnement péri-conceptionnel, la grossesse et la lactation, jusqu’à la fin de la deuxième année de vie de l’enfant, les "1000 premiers jours", selon le motto adopté par l’UNICEF, l’ONU, l’OMS et élargi plus récemment à l’adolescence, constituent une fenêtre unique de sensibilité au cours de laquelle l’environnement sous toutes ses formes qu’il soit nutritionnel, écologique, socio-économique et les modes de vie a un effet rémanent qui ‘programme’ le risque du futur adulte de souffrir de maladies chroniques (hypertension artérielle, obésité, diabète, insuffisance coronarienne,…) pendant le reste de sa vie. Ces observations ont conduit au concept de l’origine précoce des maladies de l’adulte (developmental origins of health and disease, DOHaD) qui pourrait expliquer des réponses adaptées ou inadéquates à un environnement délétère, contribuant à la diffusion de certaines maladies et à l’explosion des maladies chroniques à travers le monde.

Cependant la même "perturbation" peut avoir des conséquences différentes sur la vie future selon la fenêtre de programmation dans laquelle elle intervient. Ainsi, la période d’allaitement représente une ‘fenêtre de tir’ durant laquelle toute carence ou excès d’un nutriment mais également le statut physiologique maternel pourraient moduler la composition du lait dans toute sa complexité ainsi que ses fonctions physiologiques ce qui peut avoir un impact sur le développement postnatal de certains organes et donc sur la santé du nouveau-né, avec des répercussions considérables en particulier dans des populations fragiles comme les nouveau-nés prématurés.

Sur le plan nutritionnel, le lait humain fournit non seulement la matière première nécessaire à la croissance, mais aussi un grand nombre de composants bioactifs (peptides bioactifs, micro ARN, hormones, acides gras, oligosaccharides, microbiotes, immunoglobulines…) qui ne sont pas présents dans les préparations pour nourrissons, et qui peuvent influencer les effets bénéfiques de l'allaitement maternel sur la santé à court et à long terme.

Empreinte nutritionnelle de la lactation - L’alimentation maternelle modifie la composition du lait maternel et impacte durablement le métabolisme de la descendance

L’UMR PhAN (UMR  Physiopathologie des Adaptations Nutritionnelles, INRAE - Université de Nantes) a conduit plusieurs études sur la composition du lait maternel et la programmation métabolique de la descendance dans un modèle rongeur, avec manipulation nutritionnelle des mères et adoption des portées, ces études étant inenvisageables d’un point de vue éthique chez la femme. Les compétences de l’UMR PhAN dans les approches de phénotypages métaboliques dans des modèles de programmation nutritionnelle ont permis de mettre en évidence des signatures métaboliques distinctes de la descendance tout au long de sa vie et spécifique selon qu’elle avait été allaitée par des mères soumises à une sous-nutrition protéique (études 1 à 3) ou à une surcharge calorique (étude 4) pendant la gestation et la lactation. Les deux types de manipulation nutritionnelle périnatale des mères préservent les teneurs en protéines et en lactose du lait maternel mais induisent des profils en lipides et en acides aminés spécifiques en lien avec les apports énergétiques de la mère (études 1 et 4).

Ainsi, une restriction protéique périnatale des mères induit une forte augmentation des teneurs en lipides totaux du lait maternel associée à une diminution de la concentration en acides aminés impliqués dans la dépense énergétique et la sécrétion d’insuline et une forte conversion de certains acides aminés en substrats énergétiques (étude 1). Cette composition du lait de mères « sous-nutries » reflète un maintien d’une balance énergétique favorable au processus de lactation, mais également la préservation de nutriments pour couvrir les besoins énergétiques de la portée pour sa croissance et la maturation de ses organes (études 1 et 2). Ces modifications de composition du lait maternel peuvent expliquer la plus faible croissance des ratons allaités par des mères dénutries ainsi que leurs plus faibles insulinémie et glycémie (études 1 et 2). Les rats adultes allaités par des mères « sous-nutries » présentent un maintien de la sensibilité à l’insuline, une plus grande utilisation des substrats énergétiques  et une accrétion adipeuse moindre en réponse à un régime hypercalorique (études 2 et 3).

En l’absence d’obésité pré-gravide, les mères nourries avec un régime hypercalorique riche en acide oléique (huile d’olive) produisent un lait moins riche en lipides totaux, mais avec une plus grande proportion en lipides riches en acide oléique et en acides gras insaturés, et plus riche en composés soufrés dont la taurine, suggérant une mobilisation des voies métaboliques visant à préserver l’organisme d’une exposition à un environnement hyper-énergétique et au stress oxydant associé (étude 4). Cette composition spécifique du lait de mères « sur-nourries » reflète une adaptation de la glande mammaire à une plus grande disponibilité des lipides présents dans le régime alimentaire. Un régime maternel hypercalorique riche en acide oléique durant la totalité de la période périnatale induit chez la descendance des profils sanguins de lipides riches en acides gras insaturés et en acide oléique, avec des variantes selon le sexe (étude 4), et un maintien de la sensibilité à l’insuline de la descendance mâle et femelle qui est à mettre en relation avec le rôle protecteur de l’acide oléique vis-à-vis de la dyslipidémie (étude 4).

Les données issues de ces deux modèles de programmation nutritionnelle suggèrent donc l’intérêt d’une alimentation riche en lipides dans les premiers jours de vie à la fois sur la croissance postnatale mais également sur la préservation de la sensibilité à l’insuline et la prévention de l’obésité à l’âge adulte et sont en accord avec les études épidémiologiques récentes de Rolland-Cachera qui montrent que le risque d’obésité à long terme est inversement corrélé à l’apport de lipides dans les premières années de vie.

Partenaires : ces études ont été menées par l’UMR 1280 PhAN (à Nantes) en collaboration avec les plateformes de spectrométrie de masse du réseau CORSAIRE (LABERCA et CRNH-Ouest, Nantes) pour les phénotypages métabolomiques et lipidomiques, et l’unité StatsC-ONIRIS pour le développement d’outils statistiques multivariés prédictifs.

Financement : les études (1, 2 et 3) ont été réalisées grâce au financement de la thèse d’Aurore Martin Agnoux (2011-2013) par PONAN (Pôle Nantais Alimentation et Nutrition) et l’étude (4) a été réalisée grâce au financement du projet PARIMAD (porteur : Vincent Paillé, PhAN) par la Région Pays-de-la-Loire et les fondations LCL et SanteDige et le financement du Méta-programme DIDIT (porteurs : Vincent Paillé et Patricia Parnet, PhAN) par l’INRAE.

Publications associées :

  1. Martin Agnoux A., Antignac, J.-P., Boquien C.-Y., David A., Desnots E., Ferchaud-Roucher V., Darmaun D., Parnet P., Alexandre-Gouabau M. C. Perinatal protein restriction affects milk free amino acid and fatty acid profile in lactating rats: potential role on pup growth and metabolic status. Journal of Nutritional Biochemistry, 2015, 26 (7): 784-795. http://dx.doi.org/10.1016/j.jnutbio.2015.02.012
  2. Martin Agnoux A., El Ghaziri A., Moyon T., Pagniez A., David A., Simard G., Parnet P., Qannari E.M., Darmaun D., Antignac J.P., Alexandre-Gouabau M.C. Maternal protein restriction during lactation induces early and lasting plasma metabolomic and hepatic lipidomic signatures of the offspring in a rodent programming model. Journal of Nutritional Biochemistry 2017, 55, 124-141. https://doi.org/10.1016/j.jnutbio.2017.11.009.
  3. Martin Agnoux, A. ; Antignac, J.P. ; Simard, G. ; Poupeau, G. ; Darmaun, D. ; Parnet, P. ; Alexandre Gouabau, M. C. Time window-dependent effect of perinatal maternal protein restriction on insulin sensitivity and energy substrate oxidation in adult male offspring. American Journal of Physiology. Regulatory, Integrative and Comparative Physiology, 2014, 307 (2): R184-R197. doi:10.1152/ajpregu.00015.2014.
  4. Alexandre-Goubau M.C., David-Souchard A., Parnet P., Paille V. High caloric perinatal maternal diet impact breast milk metabotype and developmental offspring outcome, in a sex-specific manner. International Journal Molecular Science - Special Issue Bioactive Lipids and Lipidomics 2020, 21 (15), 5428. https://doi.org/10.3390/ijms21155428.

Le lait maternel favorise le développement des prématurés - Rôle des composés bioactifs du lait dans la croissance précoce de l’enfant

Plus de 7% des 800.000 bébés nés annuellement en France sont prématurés. Les néonatologistes sont confrontés à des enjeux considérables dans la prise en charge nutritionnelle des prématurés, et bien que l’allaitement maternel soit fortement recommandé, les prématurés nourris avec le lait maternel présentent des disparités de croissance et, dans plus d’un tiers des cas, un retard de croissance extra-utérin en fin de séjour en néonatologie. La caractérisation la plus exhaustive possible de la composition du lait maternel de prématuré semblait donc tout à fait pertinente pour mieux comprendre cette relation "lait maternel – croissance".

L’UMR PhAN a bénéficié de l’accès à une cohorte de 138 prématurés qui a été constituée de 2011 à 2016 à l’Hôpital Mère-Enfant de Nantes (LACTACOL). Les laits maternels reçus par deux sous-groupes d’enfants prématurés présentant des croissances qualifiées de" bonne" ou "mauvaise" durant leur hospitalisation ont des compositions très distinctes. Ainsi, le lait reçu par des enfants nés prématurés et ayant une croissance optimale est riche en acides gras saturés, rapidement utilisés comme sources énergétiques et bénéfiques pour la maturation du tractus intestinal de l’enfant, en phospholipides riches en choline essentielle pour le neuro-développement et en certains phospholipides connus pour leur rôle dans l’homéostasie du cholestérol et le traitement des désordres inflammatoires. Ce même lait "bonne croissance" contient des teneurs plus importantes en acides aminés stimulant la sécrétion d’insuline, en tyrosine, précurseur de la thyroxine et de la dopamine connues respectivement pour leur rôle dans la croissance et la différenciation des tissus et le comportement, la cognition, le sommeil ou la mémorisation, et en certains oligosaccharides associés à la croissance et au développement immunitaire (études 5 et 6).

Partenaires: cette étude a été menée par l’UMR 1280 PhAN (à Nantes) en collaboration avec les plateformes de spectrométrie de masse du réseau CORSAIRE (LABERCA et CRNH-Ouest, Nantes) pour les phénotypages métabolomiques et lipidomiques, la plateforme de spectrométrie  de masse de MetaboHUB (CEA-SIPS à Saclay) pour le phénotypage glycomique, l’unité StatSC (INRAE-Oniris) pour le développement d’outils statistiques multivariés prédictifs et le Centre d’Investigation Clinique (CIC), équipe Femme Enfant Adolescent (CIC FEA) du CHU de Nantes pour la constitution de la cohorte.

Financements: cette étude a été réalisée grâce au financement du protocole LACTACOL (clinical trial : NCT01493063, porteur : Clair-Yves Boquien, UMR PhAN) par la Région Pays-de-la-Loire (2011–2012) et les “Fonds Européen de Développement Economique et Régional” (FEDER, Grant 38395, Project 6226, 2013–2015).

Publications associées :

5) Alexandre-Gouabau MC, Moyon T, David-Sochard A, Fenaille F, Cholet S, Royer AL, Guitton Y, Billard H, Darmaun D, Rozé JC, Boquien CY. Comprehensive Preterm Breast Milk Metabotype Associated with Optimal Infant Early Growth Pattern. Nutrients 2019, 11(3), 528; doi.10.3390/nu11030528.

6) Alexandre-Gouabau MC, MoyonT, Cariou V, Antignac JP, Qannari EM, Croyal M, Soumah M, Guitton Y, David-Sochard A, Billard H, Legrand A, Boscher C, Darmaun D, Rozé JC and Boquien CY. Breast Milk Lipidome Is Associated with Early Growth Trajectory in Preterm Infants. Nutrients 2018; 10 (2), 164 ; doi. 10.3390/nu10020164.

Statut physiologique maternel et lactation - L’obésité maternelle modifie la composition en acides aminés du lait

Dans le monde, la prévalence de l’obésité a atteint 15% chez les femmes en âge de procréer en 2016 (OMS 2018) ce qui amplifie le cercle vicieux de cette pandémie : les mères obèses donnent naissance à des enfants qui eux-mêmes ont un risque plus élevé de développer une obésité infantile et un syndrome métabolique et un diabète par la suite. L’allaitement maternel a été proposé comme un moyen de lutter contre cette prévalence d’obésité sans que les conséquences de l’obésité sur la composition du lait maternel et son rôle dans la "transmission mère-enfant" de maladies non héréditaires soient clairement élucidées.

L’UMR PhAN a bénéficié de l’accès à une biocollection de laits maternels collectés dans une cohorte de mères obèses constituée à l’Hôpital de Poitiers et de Chattelerault (REGULACT- eudract.ema.europa.eu, 2009-A00912-55). Les laits maternels de mères obèses présentent des teneurs plus importantes en acides aminés branchés (leucine, isoleucine, valine) libres, qui ont été identifiés chez les enfants comme des marqueurs plasmatiques prédictifs du risque de développer des perturbations métaboliques à long terme. L’impact de ces teneurs élevées en acides aminés branchés dans le lait maternel sur la santé de l’enfant né de mère obèse reste à être explorer.

Partenaires : cette étude a été menée par l’Inserm U 1069 en collaboration avec l’UMR 1280 PhAN pour les analyses de composition du lait maternel

Financement : l’étude (7) a été réalisée grâce au financement du programme hospitalier pour la recherche clinique (PHRC)  inter-régional Grand-Ouest (B91049-20)

Publication associée :

7) De Luca A, Hankard R, Alexandre-Gouabau M-C, Ferchaud-Roucher V, Darmaun D, Boquien C-Y, Higher concentrations of branched-chain amino acids in breast milk of obese mothers. 2016, 32(11-12), 1295-1298. doi.10.1016/j.nut.2016.05.013.

Date de modification : 11 septembre 2023 | Date de création : 01 décembre 2020 | Rédaction : UMR 1280 PhAN